Il est 4h45 du matin, et comme tous les soirs depuis un mois ben, je n’arrive pas à dormir. Depuis que j’ai su que je pars vivre au Pays-Bas, tout s’enchaîne dans ma tête, c’est la peur et la joie qui parlent au même moment. Des liens se font et se défont et ma Martinique est plus belle tous les jours. J’ai les larmes aux yeux devant des paysages que j’ai toujours connus.
Dimanche dernier, j’ai binge watché Bref 2, et depuis je n’arrête pas de réfléchir. J’ai l’impression que ma génération se pose beaucoup trop de questions pour nos âges, normalement devant les épisodes j’aurais dû simplement me dire “Wow’, j’ai pas hâte d’être une adulte moi.” À la place, je me reconnais un peu trop dans la vie de Je. [4h44] Un quarantenaire paumé en pleine remise en question.
À deux mois de mes 23 ans, j’ai l’impression que la vie défile entre mes mains. Que mes choix sont pourris. Que je suis déjà pleine de regrets. Que je n’ai pas le temps. Mais le temps de faire quoi exactement ?
Avec le recul , j’ai fait des choses très cools rien que cette année. Le problème vient peut-être du point de vue par lequel je vois ma réussite, ce qu’elle signifie pour moi vraiment. Je sais pas trop, j’ai passé trop de temps à survivre, à regarder les bons moment défiler dans l’attente d’un nouveau séisme, et lorsqu’il ne venait pas, je finissais toujours par le provoquer. C’est ma copine qui m’a expliqué ca, c’est toujours plus rassurant le chaos quand c’est tout ce que tu as connu.
Résultat : je me retrouve à imaginer des scénarios catastrophes pour un truc pour lequel j’ai tellement travaillé. Partir en école d’art à Amsterdam quoi.
Dans Bref 2, Je aborde la relation avec son père. La dernière fois que j’ai parlé au mien c’était il y a 4 ans, je voulais lui annoncer que je partais vivre en France. Je suis partie et revenue, il ne m’a pas répondu. J’ai retenté l’expérience il y a quelques semaines pour lui faire part de mon nouveau départ, j’attends toujours une réponse. Dans les nuits où le sommeil me boude, je pense beaucoup à ces non interactions. Je pense aussi à son visage devant le téléphone, est-ce qu’il me voit toujours comme la petite fille de sept ans qu’il a laissé devant la porte d’entrée un soir ? C’était encore une nuit de chaos. Je me dis aussi qu’il a peut-être d’autres enfants maintenant, qu’il ne vit plus ici, qu’il a une nouvelle femme à qui il a caché son ancienne vie. Je fais partie de son ancienne vie ? Je ne connais rien de mon père et il ne sait rien de moi non plus. Parfois je m’en fous et puis parfois j’y pense. Je trouve ça injuste puis je me dis que personne ne voudrait vivre avec un monstre. C’est le flou dans la couleur de mes sentiments qui est frustrant.
J’entends des bruits sous le faux plafond, il est 5 heures passées maintenant et j’ai du mal à me dire que les souris font la java à cette heure. Le coq chante aussi. Vous pensez qu’ils arrivent à dormir la nuit eux ?
[05h05]
Nous sommes le lendemain de cette errance cérébrale nocturne, je suis en terrasse et deux heures avant j’ai pleuré la rivière de l’Alma. Le torrent de larmes était si fort que j’ai l’impression qu’à tout moment, j’allais fondre et m’étaler sur le plancher. Je me sens beaucoup plus légère, pour la première fois depuis l’annonce de mon départ, j’ai pu dire “j’ai peur” à une personne que j’aime, sans craindre de l’inquiéter. Dans ma tête c’est comme si j’avais pris un couteau, j’ai ouvert ma poitrine et j’en ai extrait mon cœur pour le placer entre ses mains. Mais non, j’ai juste pleuré devant quelqu’un.
Et puis, contrairement à tout ce que mon cerveau tente de me faire penser, je ne suis pas seule à traverser cet entre-deux. Samedi dernier, à la remise des diplômes, une série de hauts dirigeants nous parlait du fameux départ. C’est triste parce que c’est comme inévitable. Même moi, j’ai terminé mon discours en disant “À nous de voler, haut et loin, sans jamais oublier d’où l’on vient.” Dans la joie, j’ai senti l’appréhension de chacun, j’ai vue le regard larmoyant des parents fiers de nous, leur grands enfants. Je me demande s’iels se sont posé les mêmes questions que nous, comment iels font en sorte de masquer leur peur comme on masque la notre. Et qui osera briser le silence en premier ?
Il n’y a pas vraiment de morale, ni de conclusion. En plus de le dire à haute voix, je voulais l’écrire, le sceller, ce sentiment de peur. Dans quelques mois, je pourrais relire tout cela et apporter les réponses à toutes ces questions.
Je l’écrit chaque fois dans mon journal lorsque j’ai passé beaucoup de temps sans écrire : j’oublie à quel point ça fait du bien.
Si c’est le cas, merci de m’avoir accompagnée dans cette errance digitale. J’espère que vous allez bien, et que vous parvenez à partager vos sentiments de peur.